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Séparation et union
(Dans la série Disparaître)
06 JUN 2020
Je regarde. Où se trouve ce que je vois ?
Je sens. Où se trouve ce que je sens ?
En dehors de moi. En lui-même. C’est évident. C’est incontestable.
Il y a pourtant un lien entre le monde et moi. Ce lien, c’est mon système de perception.
Sans prétention scientifique ou philosophique, on peut dire que notre système de perception transcrit pour nous la réalité. Ce que nous percevons est une interprétation. Si je regarde, je perçois une image de ce que je regarde. Et si je sens, c’est la même chose, je me représente ce que je touche. Dans les deux cas, c’est la perception même qui, tout en me mettant au monde puisqu’elle me permet d’y accéder, me sépare aussi de lui en le rejetant à l’extérieur. C’est l’apprentissage que font tous les bébés de ce monde. En grandissant, cela tombe sous le sens – ou devrait tomber – : il y a autant de mondes qu’il y a de systèmes de perceptions et je ne suis pas ce que je vois, ce que je sens, ce que je perçois.
L’expérience du « Ballon de Chi » est fabuleuse. « Tenir » ce ballon entre mes mains, les transforment.
- Il « charge » littéralement mes mains, c’est-à-dire qu’il augmente le Chi qu’elles émettent naturellement.
- Il développe aussi la sensibilité de mes mains au Chi. Par exemple, je peux sentir son action dans mes mains ( elles gonflent, frichtillent, changent de couleur, s’échauffent, etc. ), mais je peux aussi sentir dans le ballon, c’est-à-dire entre mes deux mains. Dans l’espace donc qui les sépare.
Si je sens cet espace comme je sens celui de mon corps, c’est un pas énorme que je franchis vers une absence de séparation. Comme lorsque j’étais bébé. Un retour aux sources en quelque sorte.
L’augmentation de Chi ainsi que de la sensibilité des mains, ces deux aspects sont couramment observés par tous les pratiquants de l’Art du Chi.
Mais il y a beaucoup plus.
Lorsque je place ce ballon contre moi, en moi, dans mon ventre ou dans n’importe quelle partie de mon corps ou de celui de quelqu’un d’autre, ce ballon devient présence. Alors que mes sens me séparent du monde, le ballon de Chi va pouvoir maintenant m’unir au monde.
Si je concentre le ballon de Chi dans mon Tantien, c’est là que la présence se focalisera… après pas mal d’années de pratique d’exercices de concentration, de relaxation, de manipulation du Chi et de désensibilisation du corps. Oui, ce corps qu’on s’efforce de sentir, d’entretenir et d’explorer, il nous faut en même temps l’ignorer. C’est une façon de parler évidemment, car ce sont nos sens qu’il faut faire taire. Ce sont eux qui nous mènent irrémédiablement à l’extérieur, à la séparation entre moi et le monde.
Vous pensez peut-être que cette présence dans le Tantien sera – enfin – votre véritable et réelle présence, votre « moi » enfin perçu, enfin révélé. Hé bien non, ce n’est pas vous !
Et là encore, l’expérience du ballon de Chi est fabuleuse, en ce sens qu’elle préfigure l’union retrouvée. Lorsqu’on disparaît dans la grande jonction, celle de la vie. La fusion avec l’unité. L’accouplement avec le Tout.
Se focaliser dans le Tantien, c’est se focaliser dans la Vie. Cela débute par des perceptions très étranges : tous les mouvements à l’extérieur de vous sont ressentis dans le Tantien. Dans votre corps, car c’est ce que le Tantien devient. Mouvements de Chi, mouvements de vie, de corps vivants, de présences vivantes.
Ces mouvements donnent vie au Tantien qui bougera comme une créature vivante. Mais sans se déplacer. Il vivra les mouvements, les respirations, les sensations, les sentiments, les paroles, les idées, l’inconscient, les paysages, le ciel, les arbres, les fleurs, le temps… Le monde ne sera plus en dehors de vous, il sera dedans. Le Tantien n’est pas seulement l’endroit où se concentre ma vie. Il n’est pas seulement ma vie. Le Tantien est toutes les vies. Toute la Vie.
Surtout pas ma vie.
Surtout pas la vie qu’on pense.
Surtout pas celle qu’on étudie, celle de la science.
La vie, point.
Agréable ne convient pas.
Orgasme fondamental, primordial, inhérent à la Vie… est un peu mieux.
Ne vous méprenez pas, sentir le ballon de Chi n’est pas accéder à l’univers. Pour le corps, je suppose que c’est exact. Parce qu’il est vivant tout simplement. C’est la conscience qui reste enfermée dans ses raisonnements, ses réflexions, son bla-bla intérieur habituel, ses caricatures de spiritualité…
À partir de la perception du ballon, il y a un long chemin à parcourir. Il s’agit d’abord et avant tout de pratique. 10.000 heures, disait Vlady. Cela peut donc commencer après 10 ans de pratique quotidienne de plusieurs heures. Mais le temps n’est rien lorsque ce qu’on fait est heureux dès le début. Tout s’écroule si nous restons à ras de société. Tout s’effondre avec les raisonnements, la philosophie, avec tout ce qui fait la grandeur du savoir, de la culture, de la civilisation. Paradoxe : tout cela est à la fois incontournable et superflu, handicapant. Comme pour l’art véritable, il faut apprendre toutes les règles, puis les oublier.
La détente profonde est une voie royale pour y arriver. Le corps et la conscience se diluent alors doucement. On devient poreux. Notre corps et notre esprit s’imbibent progressivement, comme une éponge le fait lorsqu’on la plonge dans l’eau. Mais on a besoin de temps pour acquérir progressivement cette capacité d’absorption et changer de substance. Je ne sais pas pourquoi ça prend du temps. Ce temps dont la société nous prive en nous faisant croire qu’elle nous en fait gagner. Nos réactions à cette pandémie du COVID-19 en sont une belle démonstration.