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L’Art du Chi au temps du Corona virus – 2e partie
(L’enseignement de l’Art du Chi via les écrans)
16 MAI 2021
Dans l’Art du Chi, l’enseignant fait plus qu’enseigner, il partage son Chi. Au-delà des techniques, postures et formes enseignées; au-delà du langage, des façons de faire et des personnalités; au-delà de tout ce qui s’apprend lorsqu’on y consacre du temps, il y a dans l’École quelque chose que nous appelons banalement (et prudemment aussi) « présence ». Cette présence possède tout ce qu’on entend par charisme (comme être là, présent de corps et d’esprit, rayonner, etc.), plus quelque chose qui est directement lié au Chi.
La pratique de l’Art du Chi nettoie, entretient et développe la forme physique, mentale, émotionnelle et spirituelle. L’enseignant qui est dans ce processus de transformation depuis de nombreuses années, aide ce processus à s’accomplir chez ses élèves. Au-delà des techniques et de son savoir-faire, l’enseignant observe l’évolution de ce processus vital, infiniment complexe, qui se développe lentement et est différent pour chacun. C’est pour cette raison qu’il ne peut guider ses élèves que jusqu’où lui-même est arrivé dans ce processus. En d’autres termes, l’enseignant de l’Art du Chi transmet ce qu’il est, pas ce qu’il a appris.
Enseignants et élèves sont donc en formation et il est évident pour moi, non seulement qu’il y a une relation entre le progrès du professeur et celui de l’élève, mais que l’inverse est aussi vrai.
Ce qui est certain, c’est que transformation et progrès n’ont rien à voir avec la compréhension, que celle-ci procède d’une logique cartésienne, symbolique ou ésotérique. La compréhension se construit sur des conventions sociales et culturelles, alors que transformation et progrès en Art du Chi sont de l’ordre d’un rapprochement avec la vie. Certaines choses peuvent se vivre sans être comprises et l’Art du Chi nous permet d’accéder parfois à des domaines qu’il est impossible d’atteindre sans avoir été bien guidé à travers les méandres des techniques. Je songe au fameux « code génétique » dont parlait Vlady au sujet des mouvements du Tai Ji Quan ( voir : La Voie du Tai Ji Quan ). Je songe aussi au Xy, que seul le maître qui l’a reçu peut transmettre à l’élève ( idem ).
Pour l’enseignant, il y a donc aussi autre chose que les « je t’explique la technique » et les « je te montre comment faire ». Pour cela il faut le silence, le sien et celui des élèves. Chacun doit être seul, intériorisé. C’est alors que « la » communication s’installe, que le rapprochement s’enracine et que, peu importe la distance, « quelque chose » peut passer. Quelque chose de la vie. En présentiel ou devant un écran.
Car la distance n’est liée qu’aux communications, le rapprochement de la communication lui, tous les pratiquants de l’Art du Chi l’expérimentent, ne fût-ce qu’en tenant le ballon de Chi. Dans ce contact de main à main, dans cette abolition des distances entre ce « ballon de Chi » et le ventre, et le Tantien, et le corps tout entier… La pratique de nos techniques de Chi nous permet d’expérimenter ce rapprochement « physique » qui est fusion et unité.
Mais il faut du temps. Le temps de l’approfondissement et du mûrissement. Le temps de la contemplation et de l’émotion aussi. Ce temps est nécessaire à l’éveil des différentes facettes de l’Art du Chi. Pour se rapprocher de la vie, pour rejoindre les autres vivants, on passe par l’unité de l’espace, et du temps.
Or nous sommes toujours en retard. Comme le disait Vlady, le présent n’existe pas. Ce que nous considérons comme présent est déjà passé. Le temps que les impulsions de nos sens arrivent au cerveau et y soient décodées et c’est déjà du passé. Les vrais retardataires sont ceux qui se projettent en avant parce qu’ils se pensent plus rapides et surtout parce qu’ils pensent avoir compris.
De la même façon que la crise écologique mondiale actuelle met en évidence le fait que tout sur la planète est relié, cette pandémie nous montre que nos croyances concernant la vie sur Terre sont erronées. Des croyances comme la liberté, le libre arbitre, la communication et tellement de choses qui ne sont pas ce que la société nous fait croire. C’est flagrant avec les communications, on croit se rapprocher des autres et dans le fond, on s’en éloigne, on les tient à distance.
Que ces croyances fassent partie de nous, quoi de plus normal, nous sommes nés et passons notre vie dans la société. Qu’on soit pour elle ou contre elle, n’y change pas grand-chose. Comparativement, le temps que l’on passe dans l’Art du Chi est très court. Nous restons plongés (ou noyés) dans cette société qui avance à l’envers de notre recherche sur l’énergie de la vie. L’isolement forcé actuel pourrait être révélateur et devenir l’occasion d’explorer les mécanismes que la société utilise, et que nous utilisons, pour nous donner l’illusion de communiquer avec les autres.
Dans le fond, cette recherche c’est celle que le bébé fait, mais dans l’autre sens. Alors que lui doit apprendre la séparation (je ne suis pas ma maman, je ne suis pas le monde), dans l’Art du Chi, nous apprenons le contact physique avec la vie qui unit l’entièreté du monde vivant.
Pour ne plus être séparé du monde et retrouver notre place au sein du vivant, il nous faut apprendre la solitude, celle qui fait de la place en nous, à l’intérieur, pour y trouver la présence des autres. Chercher en soi, attention, ça aussi c’est une croyance ! Avec ou sans écrans, l’Art du Chi peut nous guider et nous montrer les chemins intérieurs.
Ne pas se presser, attendre, être en retard. Une fraction de seconde suffit. Alors le mouvement intérieur se déclenche… Je termine ces réflexions en reproduisant un courriel que m’a envoyé Lucie. Elle y décrit son expérience en suivant mes pratiques sur Zoom, les 1er et 3e dimanche de chaque mois. Voici :
Par habitude, je suivais les pratiques en ligne de Pierre comme on suit une pratique guidée normale, « en présentiel » : je tâchais de faire coller mon mouvement au sien, millimètre par millimètre. Et j’arrivais à sentir mes mouvements portés par les siens, malgré la distance technologique. Génial !
Puis, je me suis souvenue de la directive que nous avons reçue pour ces pratiques en ligne : « N’essayez pas de faire vos mouvements en même temps que Pierre, essayez plutôt de sentir les siens, dans votre corps. »
Alors, j’ai arrêté de faire les postures pour mieux me mettre à l’écoute des sensations que les mouvements de Pierre induisaient en moi. Et ça marchait aussi ! Mais du coup, je ne bougeais à peu près plus moi-même, extérieurement.
Comment concilier ces deux sortes d’écoute, ces deux attitudes, qui m’apparaissaient presque incompatibles ?
Alors, j’ai essayé, pendant un moment, de passer de l’une à l’autre et de l’autre à l’une. Et j’ai fini par trouver quelque chose : je décale mes mouvements d’une fraction de seconde par rapport à ceux de Pierre et j’attends de sentir son mouvement dans mon corps, puis je laisse mon mouvement à moi surfer sur cette vague. Cela demande une vigilance aiguë, de chaque instant, pour que je ne retombe pas dans mes habitudes des postures et des enchaînements. Mais quelle découverte ! Vivement la prochaine pratique du dimanche ! Lucie Lapointe