La respiration et sa synchronisation avec les postures de Tai Ji Quan


05 AOÛT 2024


La respiration et sa synchronisation avec  les postures de Tai Ji Quan


J’imagine le choc pour les musiciens lorsqu’apparut le métronome, je pense aussi à celui qu’a dû ressentir l’amérindien à la vue d’un « cheval de fer ». Ce choc, je le ressens parfois moi-même devant certaines pratiques de Tai Ji Quan qui ronronnent d’une régularité toute mécanique.
 
La respiration s’adapte naturellement à nos activités, à nos mouvements, à nos efforts. Dans la pratique du Tai Ji Quan, lorsque la forme est mémorisée, l’écoute de la respiration, du corps et du Chi se fait plus fine, intégrant l’impulsion des pas, l’oscillation de la marche, les pulsations du cœur et celles de nos pensées, l’influence de nos humeurs et l’observation de quantités d’événements liés à la vie du corps et aux techniques énergétiques pratiquées régulièrement et qui font dorénavant partie du fonctionnement normal du corps. Tout cela rythme et développe un phrasé particulier à chaque posture et au déroulement de la forme en leur donnant cet aspect caractéristique de tout être en vie. 
 
Mais parfois par manque d’écoute, c’est la régularité ou le ronron de la douceur des mouvements qui confèrent à une pratique la norme mécanique du métronome. Est-ce l’errance dans des rêveries ou au contraire, l’assurance des convictions ou encore, l’enlisement dans l’écoute du « singe fou » ? Souvent, c’est un peu tout ça qui transforme une pratique vivante en marche hypnotique, funèbre ou militaire. Comme une machine en marche.
 
Pourtant, déconnectée de la structure de la respiration, la pratique du Tai Ji Quan devient vite farfelue. Un dérèglement, une follerie s’installe dans les mouvements. L’unité de la forme se fractionne en une multitude d’éclats disparates, sans but ou poursuivant cent buts, et tombe dans le règne du n’importe quoi. 
 
C’est entre ces deux extrêmes que se situe la bonne pratique d’une forme de Tai Ji Quan. Il s’agit d’équilibre et de respiration, mais aussi de liberté.
 

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La respiration, panique et calme

Lorsque j’inspire, je fais travailler de nombreux muscles, c’est-à-dire qu’ils se contractent – ils raccourcissent – et lorsque j’expire, ces mêmes muscles se détendent – ils s’allongent –. C’est d’abord la capacité de détente (et non de contraction) des muscles qui interviennent dans la ventilation des poumons qui garantit une bonne ventilation des poumons. L’expiration se prolonge alors sans aucun effort, un peu comme un ballon qui se dégonfle sous son propre poids, sans qu’on l’aplatisse volontairement. Le calme est une des nombreuses conséquences de cette détente musculaire.
 
Par contre, si je comprime volontairement le ballon pour qu’il se dégonfle plus rapidement, cela équivaut à utiliser les muscles antagonistes pour forcer l’expiration. On expire alors sans détendre les muscles utilisés lors de l’inspiration et ceux-ci, incapables de se détendre, restent contractés. Impossible alors de les contracter plus pour inspirer. C’est le stress respiratoire pendant lequel on a l’impression de manquer d’air et d’être incapable d’inspirer. 
 
Le calme des plongeurs en apnée…
Le calme de la méditation…
Le calme du Tai Ji Quan…
 
Ne pas croire qu’on est calme et en paix, lorsque nos muscles sont en guerre.
Ne pas croire notre mental, mais sentir son corps.

 
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Couché sur le dos, je respire calmement. Je sens ma cage thoracique (ou mon ventre) se gonfler et dégonfler selon l’inspiration et l’expiration. Si je suis bien détendu et que je porte une attention plus fine à ces mouvements, je sentirai alors qu’il y a d’infimes irrégularités non volontaires. Certains ralentissements ou accélérations apparaissent, parfois même quelques arrêts. Et cela ne se passe pas en même temps côté gauche et côté droit. Par moment, j’observerai même que si un côté ralentit son expansion ou sa réduction… c’est pour attendre l’autre côté et parvenir ainsi à l’équilibre durant quelques secondes. 
Ce qui à première vue paraît simple et allant de soi, vu d’un peu plus prêt est composé de quantités de petites nuances, comme des hésitations, de légers changements de vitesse, bref, ces mouvements ne sont pas des mouvements mécaniques, mais bien des mouvements vivants. Comme s’ils étaient produits par quantité de petites unités s’adaptant constamment à toutes les autres.
 
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La volonté et la liberté
« Rien ne rend plus sot que l’illusion de la force, l’illusion de la puissance, l’illusion de savoir.» (Plus tard, je serai un enfant — Éric-Emmanuel Schmitt)
 
L’Art du Chi commence vraiment lorsque l’effort musculaire s’efface et que le Chi porte le pratiquant. On peut arriver à une belle exécution avec des mouvements doux, déliés, harmonieux, on peut faire semblant d’être porté par le Chi, mais cela ne trompera jamais un pratiquant avancé qui a l’expérience d’être porté par le Chi. Le Tai Ji Quan ne consistant pas à faire des mouvements lents, mais bien à faire ce qu’il faut pour être porté par la vie.
 
Lorsqu’on est porté par le Chi, il y a abandon sans résignation, capitulation, démission ou fuite, mais bien un détachement par rapport à une maîtrise, à la domination, à la force, au pouvoir, à la compétition… tout ce dont nos mouvements quotidiens témoignent beaucoup trop, sans que l’on s’en aperçoive. L’abandon est la clé pour se confier, s’ouvrir, faire confiance. Cela demande de cesser d’être soi, en tout cas de ce qu’on pense être. Il faut se perdre pour accéder à ce que nous sommes fondamentalement. Il faut se vider de ses tensions et de ses croyances, de ses peurs aussi, pour recevoir ce qui pourra nous remplir.
 
Ah, cette volonté ! Agir, faire et n’en faire qu’à sa tête. Imposer nos actes anthropocentristes et colonisateurs à notre corps. Le reconnaître d’abord, ensuite vouloir autre chose.
 
La forme étant mémorisée, nous cherchons quelque chose de bien spécial qui, à première vue, peut sembler contradictoire avec tout ce que nous avons cherché jusque-là. Nous allons cesser de faire les mouvements de Tai Ji Quan. Il s’agit en fait d’utiliser autrement notre volonté pour, non plus « imposer » les postures au corps, mais pour l’inviter à les faire lui-même. Le plus drôle, c’est qu’il le fera ! Il ne le fera peut-être pas exactement comme lorsque nous les lui imposons, mais il le fera à sa manière. Avec sa logique à lui, ses priorités et les connaissances du vivant qu’il possède et dont nous ignorons tout. Ce sont les mouvements de la Vie, c’est le miracle de la Vie dans la matière du corps.
 
Nous réalisons une grande détente, étrange, car nous sommes en mouvement. Nous ne bougeons plus comme à l’ordinaire et les postures défilent autrement, les techniques de Chi se mettent en branle, notre respiration nous étonne, nous assistons à ce miracle : la vie fait bouger notre corps. Comme si quelqu’un d’autre était rentré dans notre corps et le faisait bouger à notre place. Certes, le plus souvent cela semble très « imparfait » pour nous qui avons travaillé ces postures tout en souplesse, rondeurs et déliés durant de nombreuses années. Il y a des petits heurts, des glissements inattendus, comme des hésitations et parfois même quelques « détours » totalement imprévisibles. Si on se sent parfois marionnette, le corps exécute toujours les mouvements de la forme, pas autre chose.
 
C’est dans cet état de corps et de conscience que nous expérimentons l’émergence d’une liberté fondamentale provenant du phénomène même de la vie du corps. Pas facile à détecter, à faire confiance. Quoi ? Ce ne peut être la liberté si je me laisse faire ! L’expérience physique de la liberté véritable de la vie dans le corps est bien différente de nos croyances concernant ce que devrait être cette liberté. 
 
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L’animal
Les postures s’enchaînent et parfois glissent de l’une à l’autre, se superposant partiellement. La respiration tantôt s’intègre au rythme des mouvements, tantôt s’en dissocie. Les diagonales Yin et Yang et la diagonale de Chi structurent les déplacements du corps et du Chi. Tout l’ensemble est indissociable. La vie est partout, dans le corps et tout autour. L’équilibre constamment recherché. Et puis les courants de Chi, les vagues, ondes et séismes intérieurs. Enfin, ce quelque chose qui se déplace dans le corps et qui parfois en sort. Ni courant, ni vague, ni onde, qui se concentre et parfois est multiple, qui se tortille, est chaud, bon et puissant, mais qui sait être calme ou vif par moment. Comme un animal qui se déplace dans le corps. Comme un être. Doué de connaissances et de volonté. Qui parfois travaille, parfois répare, parfois se repose. Qui aime. Comme un animal sauvage. Qu’est-ce ? Qui est-ce ? Serait-ce moi ? Ma vie ? La Vie ?
 
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Tchouk, tchouk, tchouk, le train passe; tic-tac, tic-tac, tic-tac, fait le métronome. Régulier, sans nuances, toujours semblables. Une mécanique bien huilée. On peut oublier, on peut dormir… Non, ce n’est pas çà l’Art du Chi.
 
 
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L’Art du Chi est un art millénaire. Il est diffusé dans plus de 15 pays par les enseignants de l’École de la Voie intérieure, fondée en 1988 par Vlady Stévanovitch, reconnu l’un des maîtres les plus subtils de l’époque moderne en Occident.

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